Elle semble si intimidée que me demande si je ne devrais pas m'en aller pour lui ôter cette torture. Je déteste voir les gens ainsi face à moi. Enfin, ça dépend des circonstances, bien évidemment. « Moi c'est Maëva. » Tu souris. Maëva. Autrefois, il y a longtemps, trop longtemps, tu en connaissais une. D'ailleurs elle lui ressemblait un peu. Peut-être que toutes les Maëva ont le regard malicieux et chocolat, des cheveux bruns et ondulés, et cette gentillesse imprimée sur leur minois de porcelaine comme un code barre. Elle ferme son livre. Je sais que c'est à cause de moi mais je ne peux pas m'empêcher de sourire inconsciemment. Je prends une gorgée à ma paille, avant d'engager la conversation. « Je suis désolé si je vous dérange, vraiment ! Qu'est-ce que vous lisez, au juste ? Ça avait l'air de vous prendre corps et âme, je suis curieux de voir de quoi parlent ces lignes. » Je n'sais pas bien pourquoi est-ce que je manie si bien les mots. Peut-être que j'aurais dû continuer à la Sorbonne, continuer, devenir écrivain, ou avocat, ou journaliste, je n'en sais rien. On m'a toujours dit « que je savais bien parler ». À défaut de savoir bien agir, faut bien avoir l'un ou l'autre, hein.

« Non, mais non vous ne me dérangez pas, c'est juste qu'après une journée de travail, j'aime bien rester seule, pour décompresser en quelque sorte. » Je fronce légèrement les sourcils, me demandant donc si je ne ferais pas mieux de me taire plus simplement et de la laisser donc seule dans son petit monde à elle. Je comprends totalement. Moi aussi j'ai besoin de mes moments d'espaces vitaux. « C'est un livre que j'ai ramené de France, un livre de Musso, je ne sais pas si vous connaissez. » Musso. Bien sûr que je connais quelle question ! Enfin oui, je ne sais pas si ici le célèbre auteur français est aussi connu que chez nous, mais il me semble que ses romans sont traduits. Je regarde avec curiosité la couverture qu'elle me montre et me rassoit normalement dans ma chaise. « Ah, le fameux échange de portable dans l'aéroport, début d'une grande aventure. » Eh oui, je connais mes classiques, voyons. Enfin, c'est normal. J'ajoute même que, sincèrement : « Musso est un, si ce n'est pas LE, de mes auteurs favoris. »

« Ah, le fameux échange de portable dans l'aéroport, début d'une grande aventure. » Alors comme ça il connaissait Musso lui aussi. Tu ne t'étais donc pas trompée en supposant qu'il était français lui aussi. Il est vrai que tu ne t'étais jamais posé la question de la traduction en Australie. Enfin peu importe. « Je ne le lasse pas de le lire et relire, comme si à chaque fois je redécouvrais le dénouement. » Tu récupères le livre et tu croises les bras dessus, un peu moins déçue de ne pas être seule. Autant être dérangé par quelqu'un d'intéressant, tu te crois pas ? « Musso est un, si ce n'est pas LE, de mes auteurs favoris. » Alors là, ça vous faisait un vrai point commun. Quelle était la chance pour que tu te retrouves dans un café face à un français qui aime tout autant Musso que toi ? « Donc vous venez aussi de France, je ne me suis pas trompée ? » demandes-tu juste pour confirmer tes soupçons presque réellement affirmations en fait.

« Je ne me lasse pas de le lire et relire, comme si à chaque fois je redécouvrais le dénouement. » Je souris. Je comprends bien. J'adore ce bouquin aussi, même si d'autres ouvrages de ce même auteur me font encore plus d'effet. L'Appel de l'Ange figure tout de même parmi mes préférés, c'est vrai. « Je ne peux que comprendre. Il a une plume tellement agréable... » Je l'avais même rencontré, quand j'étais encore à la Sorbonne, quand j'étais encore dans mes études, quand j'étais encore le mec modèle et parfait. « Donc vous venez aussi de France, je ne me suis pas trompée ? » Je prends une gorgée de mon café froid avant de sourire et de hocher la tête doucement. « En effet ! Je viens de Paris. Mais vous aussi n'est-ce pas ? Enfin, vous avez l'air française aussi. » La dernière phrase dite dans mon français natal, comme pour voir si elle comprend vraiment, comme pour voir si je n'ai pas rêvé son accent. Et puis, si elle adore Musso il y a de fortes chances qu'elle soit française, elle aussi, et ça nous fait là un autre beau point commun.

« Je ne peux que comprendre. Il a une plume tellement agréable... » Tu as toujours rêvé de pouvoir rencontrer tes auteurs préférés, mais tu n'en as jamais eu l'occasion. Peut être qu'ici tu auras la chance d'y remédier avec des auteurs locaux. « En effet ! Je viens de Paris. Mais vous aussi n'est-ce pas ? Enfin, vous avez l'air française aussi. » L'entendant parler français, tu souris. Ca te faisait du bien de revenir aux sources de temps en temps et de sortir de cet anglais un peu invasif. « Oui, de Paris aussi justement. Vous viviez dans quel quartier ? » Repenser à l'enfance te fait un petit pincement au cœur. C'était encore la période heureuse, l'insouciance face au désastre de ton adolescence. « Personnellement, j'ai habité pendant 10 ans dans le 19ème près des Buttes Chaumont puis j'ai déménagé dans la banlieue parisienne.» continues-tu toujours en français. Bizarrement, le courant passe bien puisque tu lui parle sans gène d'informations personnelles. C'est assez rare pour toi, surtout vu comment leur rencontre avait commencé.

« Oui, de Paris aussi justement. Vous viviez dans quel quartier ? » Je la regarde un instant et me plonge dans le flot de mes souvenirs parisiens et emmêlés entre les bons et les mauvais. Elle enchaîne avant que j'ai pu répondre et je décide donc de répondre après elle. « Personnellement, j'ai habité pendant 10 ans dans le 19ème près des Buttes Chaumont puis j'ai déménagé dans la banlieue parisienne. » Mes lèvres s'étirent dans un sourire naturel. « J'ai vécu pendant près de dix-neuf ans dans le 19ème moi aussi, c'est une belle coïncidence ! » je fais alors, lui souriant plus grandement encore, ravi de voir quelqu'un de français, mais en plus de Paris et de mon arrondissement en plus de ça ! La conversation est agréable et finalement, je suis bien content qu'il n'y ait pas eu de place à mon arrivée au café.

« J'ai vécu pendant près de dix-neuf ans dans le 19ème moi aussi, c'est une belle coïncidence ! » Alors là, tout devenait de moins en moins rationnel. Sur combien de milliards de chance était ce possible de rencontrer une personne venue de son arrondissement à des milliers de kilomètres ? Tu avais besoin d'avoir le cœur net, peut être était il un malfrat qui essayais te t'amadouer avec toutes ces coïncidences. Peut être essayait il d'en savoir un maximum sur toi afin de mieux cerner sa proie. Tu avais déjà vu ça dans des films. Tu frissonnes et tentes de le faire parler. À toi de renverser la situation. « Oh, quelle coïncidence ! Et vous fréquentiez quel école ? Vous habitiez dans quelle rue ? »

Tu parles d'une coïncidence ! Je n'en crois pas mes oreilles et bientôt, ce sont mes yeux qui n'en croiront pas non plus leurs oreilles.. Attendez, qu'est-ce que je raconte ? On passe. Je l'observe toujours, un sourire naturel sur les lèvres. Pour une fois que je ne cherche pas à amadouer quelqu'un avec mon sourire et qu'il est bel et bien sincère hein... « Oh, quelle coïncidence ! Et vous fréquentiez quelle école ? Vous habitiez dans quelle rue ? » Je fronce les sourcils; j'ai l'impression de passer un interrogatoire chez les flics. Je me mets en pause un instant. Et si elle était flic ? Bon et si t'arrêtais avec tes suppositions saugrenues aussi, hein ? Saugrenue. C'est un mot qui m'a toujours fait rire sans que je ne sache bien pourquoi. Bon, bref. (...) « Euh.. je ne me souviens plus bien le nom de la rue. Mais j'allais à l'école Jean Monnet. » Je relève les yeux et fronce le nez avec amusement. « Peut-être qu'on allait à l'école ensemble, qui sait. » Qui a dit que c'était impossible, hein ?

Je remarque qu'elle manque de lâcher son verre mais ne fait aucun commentaire. Elle a peut-être Huntington, j'en sais rien moi ! Je préfère lui sourire simplement, avant de prendre une gorgée de mon café. Elle semble choquée et je me demande brièvement ce que j'ai pu dire pour la troubler à ce point-là. Puis elle commence à découvrir son épaule. Euh, wtf ? Ah. Oh. Mes yeux bleus-verts se rivent à la cicatrice et un frisson me parcoure l'échine. Maëva. Mais bien sûr. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt, hein ? Peut-être parce que ça fait onze ans qu'elle a déménagé, peut-être parce que tu connais même pas son nom de famille vu qu'à cet âge-là c'est pas important, peut-être parce que vous êtes à des milliers de kilomètres de Paris. Cette cicatrice... Je m'en souviens encore. J'avais été paniqué de voir ce qu'elle avait fait. De ce qu'elle avait été prête à faire pour que je m'occupe d'elle. Mais je me souviens comme j'avais adoré ça, m'occuper d'elle. Soudain, je suis de nouveau un gosse un peu timide devant elle, je n'sais même plus quoi dire, mon assurance s'est envolée. « Maëva, mais bien sûr... » je murmure ça doucement, le regard perdu dans le vide, avant de secouer la tête et de la regarder, semblant reprendre vie, mes yeux clignant plusieurs fois et mes lèvres s'étirant en un sourire large. Je me lève un peu précipitamment et vais près d'elle pour la prendre soudainement dans mes bras. Comme ça, oui. Impulsif. « Bon sang mais c'est dingue ! Ça fait des années, j'y crois pas, j'suis tellement content ! » Je la serre toujours contre moi, fermant les yeux quelques secondes, me replongeant dans cette époque où régnait encore l'innocence, où je ne connaissais ni le deuil ni le manque.

Tu vois à ses yeux qu'il a compris. Alors tu ne rêve pas. C'est bien lui. Ton amoureux quand tu avais dix ans. Comme il avait changé. Et qu'est-ce qu'il était devenu beau... Enfin là tu divagues. « Maëva, mais bien sûr... » Ta bouches doit former un O tellement énorme quand il se jette dans tes bras. Alors tu te laisses complètement aller, un espèce de trop plein d'émotion qui déborde en se traduisant par des larmes. Des larmes de joie. « Bon sang mais c'est dingue ! Ça fait des années, j'y crois pas, j'suis tellement content ! » A ce moment précis tu te fous du regard des gens qui doivent se demander ce qui se passe à la table à côté. Tu enfouies ta tête dans son cou, et murmures à son oreille: « Je ne pensais pas te revoir un jour... » Tu te détâches de lui er sêche rapidement tes gouttes d'eau salée. Cette proximité te semblant tout d'un coup un peu brusque. « P..pardon, c'est l'émotion.» Puis tu te rassoit, encore estomaquée par ce retournement de situation.

Je n'y crois pas. Maëva. MA Maëva quoi ! La petite perle qui était mon amoureuse quand j'avais dix ou onze ans peut-être.. Avant le collège, l'école primaire. L'innocence, la naïveté. Qu'elle était facile cette époque là ! Elle se laisse aller contre moi et je la serre un peu plus encore, souriant toujours. « Je ne pensais pas te revoir un jour... » Je secoue la tête, mais les mots me manquent et je suis incapable de prononcer quoi que ce soit de cohérent. J'ai la gorge toute nouée de telle façon que ça m'étonne moi aussi d'ailleurs. Puis je la relâche alors, retournant m'asseoir en ignorant complètement les regards provenant des autres tables. « P..pardon, c'est l'émotion. » Elle pleure. Elle s'excuse mais moi, je trouve ça magnifique. Je secoue la tête en souriant. « Ne t'excuse pas ! ... Wahou, moi non plus je ne pensais jamais te revoir... » Et c'est vrai. Deux gosses perdus au milieu de Paris. Quel espoir avions-nous de nous retrouver ?

« Ne t'excuse pas ! ... Wahou, moi non plus je ne pensais jamais te revoir... » Tes yeux écarquillés, tu te remémores quelques souvenirs heureux passés ensemble. Et s'il n'avait pas déménagé, est ce que ta vie aurait pris ce tournant ? Tout se bouscule dans ta tête et tu essaye de te remettre les idées en place. « Tu sais que dès que tu m'as donné ton prénom j'avais pensé à toi ? C'est fou non ? » Oui, fou c'était bien le mot. Et si il y avait eu assez de place dans le café, jamais vous auriez pu vous revoir. Encore heureux que tu aies accepté qu'il s'assoit à ta table. En tout cas, sacré concours de circonstances ! « Non mais tu te rends compte. Il y avait une chance sur des millions de se recroiser un jour. » Tu n'en revenais toujours pas. Te doutant que la soirée allait être longue car bouillant de questions à lui poser, tu vas recommander des cafés avant de revenir à table. « J'ai recommandé la même chose, ça te va ? »

« Tu sais que dès que tu m'as donné ton prénom j'avais pensé à toi ? C'est fou non ? » Je souris, riant même un peu à sa phrase, avant de lui dire : « En même temps, je ne connais pas grand monde qui porte le nom de Sylvestre, c'est plutôt atypique ! » Mes parents avaient sans doute adoré ce prénom, ou je n'en sais rien. Peut-être voulaient-ils m'appeler par un prénom très rare. Et encore à ce niveau-là, j'avais plutôt eu de la chance. « Non mais tu te rends compte. Il y avait une chance sur des millions de se recroiser un jour. » Je hoche doucement la tête. Elle a parfaitement raison. Une chance sur des millions ! Comment est-ce possible ? Je n'en ai pas la moindre idée mais je décide de cesser de me demander ça pour juste profiter de nos retrouvailles. Elle se lève et je la suis des yeux, comme si elle allait m'échapper. Pendant sa courte absence, je me remets en question. Comment réagirait-elle si elle apprenait que ce petit garçon innocent de dix ans est devenu un drogué ? Je me mors la lèvre. Elle ne le saura pas. « J'ai recommandé la même chose, ça te va ? » J'écarte mes pensées pour me concentrer pleinement sur elle. « Oui tout à fait ! Merci... Je n'y crois pas, je suis abasourdi. Mais je suis tellement content si tu savais ! »

« En même temps, je ne connais pas grand monde qui porte le nom de Sylvestre, c'est plutôt atypique ! » Tu rigoles, il était sûr que Sylvestre n'était pas trop porté, ce n'était même pas une question de génération, tu n'avais jamais rencontré d'autre Sylvestre dans ta vie. « Tu es le seul et l'unique Sylvestre alors, comme ça on te reconnaitra toujours !» Après, c'était peut être une chance d'avoir un prénom peu porté, au moins tu es unique. « Oui tout à fait ! Merci... Je n'y crois pas, je suis abasourdi. Mais je suis tellement content si tu savais ! » Tu tournes une mèche avec tes doigts, histoire de te détendre après toutes ces émotions. « Alors, raconte moi voir un peu ce qui s'est passé depuis que j'ai déménagé ! J'ai du louper tes brillantes études ! Raconte moi tout, tout ! » demandes-tu enthousiaste, loin d'imaginer la vérité.

« Tu es le seul et l'unique Sylvestre alors, comme ça on te reconnaitra toujours ! » Peut-être est-ce un avantage alors, en effet, de porter ce prénom que je n'aime guère pourtant. Peut-être qu'un jour dans la vie, ça me sauvera. Et alors une fois de plus je pourrais remercier mon admirable et défunt père. « Alors, raconte moi voir un peu ce qui s'est passé depuis que j'ai déménagé ! J'ai du louper tes brillantes études ! Raconte moi tout, tout ! » Je baisse les yeux, me mordillant l'intérieur de la joue. Je ne sais même pas par où commencer, en fait. Le serveur amène nos commandes et je le remercie d'un hochement de tête. Je hausse les épaules, gardant un air décontracté en relevant mes yeux verdâtres vers elle. « Oh ce n'est.. ce n'est pas bien important, parle moi de toi plutôt ! Tu étudies ? Tu es arrivée ici quand ? Je veux tout savoir ! » Des questions, pour empêcher les autres de m'en poser. Une technique depuis plusieurs années maintenant.

« Oh ce n'est.. ce n'est pas bien important, parle moi de toi plutôt ! Tu étudies ? Tu es arrivée ici quand ? Je veux tout savoir ! » Tu ressens une sorte de gène dans son comportement mais presque indécelable. Tu oublies vite ce sentiment de gène quand le serveur apporte vos deux cafés. Tu portes tes mains sur le verre pour ressentir la chaleur. Toi non plus tu n'as pas envie de raconter ce qui t'as poussée à venir ici. Alors tu le comprends et tentes d'esquiver à ton tour, optant pour une réponse un peu basique et peu développée. « Je suis arrivée le mois dernier et je bosse comme serveuse dans un bar. » Faire plus bref comme réponse, tu ne pouvais pas mais même à lui tu ne pouvais pas lui raconter ce qui t'a pousée à venir ici. Enfin du moins pas tout de suite.